Le théâtre d’improvisation, reflet des collaborations

Aujourd’hui, nous n’allons pas parler de marque employeur, d’engagement ou de recrutement décalé. Je voulais partager avec vous une passion qui m’a beaucoup apporté tant dans ma vie privée que ma vie professionnelle.

Après une belle année de pratiques régulières, j’ai pu constater que l’activité du théâtre d’improvisation était quelque part une sorte de reflet de ce qui pouvait se passer dans la vie de tous les jours. Notamment lorsque nous devons collaborer les uns avec les autres.

Je souhaitais partager avec vous les parallèles que j’ai pu voir avec le monde de l’entreprise. L’occasion de faire un petit clin d’œil à cette activité pleine de sens sur les rapports humains, qui m’apporte tant.   

Ligue d'improvisation montréalaise (LIM)

Ligue d’improvisation montréalaise (LIM)

Quelques mots sur l’histoire

 

Faisons un petit focus sur le théâtre d’improvisation. Il s’agit d’une forme théâtrale où les comédiens réunis ne savent pas à l’avance ce qu’ils vont jouer, ni comment ils vont le jouer, ni ce qu’ils vont dire. Ils doivent « improviser » à partir d’un thème ou autre (selon l’exercice proposé).

Cette pratique se serait déjà retrouvée dans le monde théâtral depuis que celui-ci existe mais n’avait pas la forme ordinaire qu’on lui prête de nos jours.

C’est au cours des années 70 que l’improvisation a vu le jour au Québec, en quête d’identité théâtrale à cette époque. Certains mettront cette pratique au coeur de leurs spectacles comme « Le Grand cirque ordinaire ».

Au cours de ces mêmes années, le concept Match d’improvisation fut créé par les québécois Robert Gravel (comédien, metteur en scène, dramaturge) et Yvon Leduc (comédien). Lors d’une soirée, (arrosée, parait-il), ils se sont inspirés du hockey, et ont imaginé 2 équipes qui s’affrontent.

Maintenant populaire en France depuis plusieurs années, il existe de nombreuses formes d’improvisation dérivées du catch : catch-impro, long form… Mais nous ne rentrerons pas dans ce détail.

 

« La considération des uns et des autres »

 

Lorsque l’on débute, on nous apprend que le théâtre d’improvisation répond à plusieurs règles. Parmi elles, la plus connue : « l’interdiction de refuser ». En somme, nous devons forcement accepter la proposition de l’autre comédien(ne).

Si celui-ci voit un chien passer, ce chien doit exister. S’il vous propose de faire un match de basket, vous faites ce match.

En tant que débutant, cette règle est souvent prise au pied de la lettre. Avec le temps, on apprend à « refuser » d’une façon autorisée et faisant avancer l’histoire. Une façon de concilier cette règle parfois bloquante, avec l’identité des personnages et la cohérence de l’histoire.

Exemple : « Est-ce que j’ai mon permis inspecteur ? » dit le comédien jouant un élève d’auto-école, véritable danger public. « Oui, mais pas en France. Je crois qu’il existe un pays où les gens comme vous sont autorisés à conduire », « Très bien, allons-y pour voir ! ». Il y a un refus, en quelque sorte, mais l’histoire avance, et elle est cohérente avec ce qu’il s’est passé avant : l’élève était un danger public. Il était compliqué de lui dire « oui ».

Quoi qu’il en soit, cette règle nous pousse à écouter et à travailler avec ce que l’autre apporte. J’irai même jusqu’à dire que ça nous pousse au respect : sur scène, chaque proposition doit être considérée.

Ce sont même très souvent les propositions les plus originales qui apportent le plus. Alors, il ne faut surtout pas se brider.

Un petit peu comme une séance de brainstorming, il n’est pas conseillé d’être « créaticide » (oui, ce mot n’existe pas), c’est-à-dire ne pas se censurer. Une idée, même farfelue, peut en amener un autre. C’est ainsi qu’on sort des sentiers battus et qu’on voit loin. 

Ligue d’improvisation montréalaise (LIM)

« La co-construction, une synergie qui fonctionne »

 

Avec le temps, je me suis rendue compte à quel point la place que l’on prend et celle qu’on laisse à l’autre étaient représentatives de ce qui pouvait se passer dans un travail collaboratif. En effet, de mon expérience, j’ai pu faire les constats suivants :

Lorsque je joue avec une personne – sur le moment – très directive, il devient compliqué de m’imposer, de proposer mes idées. Il me reste alors 3 possibilités :

  • Soit je trouve le moyen de contourner ses idées pour faire passer les miennes, prenant le risque de réaliser des « refus » ou presque refus
  • Je peux aussi m’imposer encore plus qu’elle, pouvant déstabiliser mon co-équipier, et rendre incohérente l’histoire
  • Soit j’accepte et je suis contrainte de m’adapter à l’histoire qui m’est imposée

 

Lorsque je joue avec une personne – sur le moment – plutôt passive, je me retrouve rapidement en difficulté puisque je me sens vite seule. J’ai le choix entre :

  • Rester les bras ballants et ne pas faire avancer la scène
  • Prendre les choses en main, proposer et guider l’histoire, au risque de devenir directive
  • Jouer la scène en quasi « solo », laissant à l’autre la liberté, ou le choix compliqué, de s’y greffer en cours de route

 

Avec du recul, je réalise que les meilleures scénettes que j’ai pu jouer fonctionnaient parce que notre duo, trio, ou quatuor était à l’écoute des uns et des autres. Une vraie co-construction s’opérait.

Dans ces moments-là, chaque idée est utilisée, chacun s’implique. Nous avançons ensemble, les choses se précisent et surtout chacun prend du plaisir, et ça se ressent : entre comédiens, dans le jeu et donc auprès du public. Un vrai plus qui fait toute la différence.

Attention, ces constats s’appliquent à moi également. Comme l’improvisation est un apprentissage par l’erreur, j’ai moi-même déjà joué des scènes en étant trop directive, passive et peu à l’écoute… Là est tout l’intérêt de pratiquer une telle activité : on apprend, au fil du temps, à se positionner instinctivement dans une équipe.

 

« Savoir mettre son ego de côté »

 

Comme je le disais plus haut, chaque proposition est considérée pendant le jeu. Elles ont toutes leur intérêt et peuvent faire avancer l’histoire si nos coéquipiers les utilisent de façon constructive.

Oui, mais cela ne veut pas dire qu’il faut constamment prendre la parole et proposer toutes nos idées, aussi intéressantes soient elles.

C’est un travail d’équipe, et un travail d’équipe ne met pas constamment tout le monde en lumière . Si un ou deux comédiens sont sur la scène et qu’une action s’opère, prenant une importance particulière dans l’histoire, il faut apprendre à se mettre en retrait, et mettre sa proposition de côté.

Se mettre en retrait peut se faire de plusieurs façons. Par exemple : continuer son action et se mettre en « play-back », comme si l’action se faisait en second plan. Ou encore, trouver un argument pour sortir de scène.

Ce qui compte le plus n’est pas que « son idée » soit utilisée mais que l’histoire soit réussie. Cela demande parfois de mettre son égo de côté et laisser les comédiens – sur le moment- « leaders », aller au bout de leur proposition.

 

« L’auto-persuasion, au service de ceux qui souffrent du syndrome de l’imposteur »

 

Les comédiens n’ont pas de costume, pas d’accessoires et aucun maquillage. Il n’y a également pas de décor. Ils doivent jouer un ou plusieurs personnages en même temps, à partir de rien.

De plus, les histoires étant des créations libres, les possibilités de personnages sont très larges : les comédiens jouent aussi bien des humains que des animaux, ou encore des objets et choses qui n’existent pas. Et oui, il est possible de jouer le rôle d’une guimauve perdue dans l’espace !

Pour que le public soit convaincu, il faut que le/la comédien(ne) se persuade en quelques secondes qu’il/elle est ce personnage. Plus cette personne s’en persuade, plus son jeu sera authentique : le corps, la posture, l’expression du visage, la voix et le choix des mots suivront.

Même exercice mental pour les éléments de décor invisibles qui se rajoutent : si les comédiens imaginent un bar en plein milieu de la scène, celui-ci doit exister. Ils pourront le contourner, se servir dedans, s’y accouder… Il ne disparaitra pas sans raison.

Une improvisation réussie, ce sont des comédiens qui se sont amusés avec notre subconscient et notre imagination. C’est une expérience imaginaire collective où chacun finit par voir la même chose.

Finalement, quand nous nous rendons compte qu’en l’espace de quelques secondes nous avons vu un gang de guimauves partir à la chasse dans l’espace alors qu’il n’y avait que des comédiens et aucun décor, nous comprenons rapidement qu’il n’est pas toujours nécessaire de voir l’habit pour voir le moine.

Un exercice d’auto-persuasion qui fait écho à la posture que l’on adopte dans la vie de tous les jours. J’ai souvent entendu que nous ne pouvions pas convaincre les autres d’être un(e) bon(ne) manager/entrepreneur(e)/consultant(e)/avocat(e), si nous ne sommes pas convaincus nous-même.

 

« Le droit à l’erreur, pour soi et pour les autres »

 

C’est ce sans doute ce que m’aura le plus apporté le théâtre d’improvisation. Je me rappelle encore de ma première professeure de théâtre qui nous avait demander, sans thème et aucune consigne, d’improviser. Il ne s’était pas passer grand chose, en réalité nous n’avions pas su quoi dire.

Le message qu’elle nous a fait passer juste après était très parlant à ce moment : « il ne s’est rien passé, vous n’avez pas su quoi dire, et c’est pas grave. Nous pouvons être sur scène, prendre son temps et ne rien contrôler. Rien ne nous oblige à être constamment en mouvement ou en discussion ».

Elle avait raison : quoi de plus naturel que d’être « comme dans la vie de tous les jours ».

Cela arrive de ne pas savoir, de ne pas être toujours « bon ». Le tout est de rapidement « remonter sur scène ».

  

« Entre lâcher prise et intelligence situationnelle »

 

Je terminerai par ça : pour progresser en improvisation, il faut savoir lâcher prise et ne plus réfléchir.

Ne plus réfléchir n’est pas évident pour tout le monde. Pourtant, c’est l’ingrédient secret pour vivre pleinement le moment présent.

 

De pratique en pratique, l’improvisation est un bon moyen pour développer son intelligence situationnelle. On prend le réflexe quotidien de comprendre rapidement ce qu’il se passe autour de nous et de réagir avec spontanéité. Mine de rien lorsque l’on collabore, l’intelligence situationnelle a toute son importance : elle évite les incompréhensions et nous rend plus efficace.

 

Je conseillerai mille fois d’essayer cette pratique, dans votre vie privée ou même professionnelle, grâce à des stages en entreprise par exemple.

Et vous, avez vous eu une expérience similaire ? Pratiquez -vous une activité pleine de sens également ?